Rabbi Moshe ZRIHEN (ztl)

Une personnalité éminente de la Communauté Juive de Marrakech

THÉRÈSE ZRIHEN DVIR, PETITE FILLE DU RABI MOSHE ZRIHEN ÉCRIT AVEC PASSION ET CONVICTION.
MARRAKECH, LA VILLE Où ELLE EST NÉE, EST LE SUJET DE PLUSIEURS DE SES LIVRES.
SES SOUVENIRS RAPPELLENT QU’UNE IMPORTANTE COMMUNAUTÉ JUIVE A PARTICIPÉ AU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DE MARRAKECH ET À SA MIXITÉ CULTURELLE. ELLE PARTAGE AVEC NOUS DES RÉCITS QUI ILLUSTRENT LA PARTICIPATION DES JUIFS À L’HISTOIRE DE LA VILLE ROUGE, DÉCRIVENT LEURS TRADITIONS ET RENDENT COMPTE DES DIFFICULTÉS DE LEUR EXODE.
QUI ÉTAIT RABBI MOSHE ZRIHEN ? M. ASHER WIZMAN LE PRÉSENTE:

Fils du juste, feu Rabbi Abraham Zrihen, Rabbin-juge, enseveli près de feu rabbi Mordechai Corcos, Rabbi Moshé Zrihen, issu de la troisième génération de Rabbin-juge de la famille Zrihen, siégeait au tribunal rabbinique de Marrakech. Plutôt humble, il n’apparaissait que très exceptionnellement en public. Il habitait sa grande demeure, plus connue sous le nom la maison de Rabbi Moshé Zrihen à la rue L’Hbass, ayant à son aile droite, une grande synagogue qui lui servait personnellement et servait la communauté entière spécialement durant les grandes fêtes.
La personne qui le côtoyait le plus fréquemment, était le Shamash du tribunal Sheikh Yossef, Sobriquet qui lui fut attribué grâce à son intimité avec le rabbin. Lui non plus n’était pas tellement loquace, se concentrant dans les affaires judiciaires en général.
Rabbi Moshé Zrihen siégea pendant quarante ans à la tête du tribunal rabbinique de Marrakech et sa signature orne des centaines de milliers de documents, en sa qualité de dirigeant du droit. À ses côtés plusieurs grandes figures rabbiniques avaient siégés.
Malgré l’importance de son rôle et sa grandeur, Rabbi Moshé Zrihen menait une vie modeste. Sa richesse et ses possessions considérées comme des plus importantes du pays, il évitait de les exhiber. Tout son patrimoine qu’il avait hérité de ses parents, fut transmis à sa mort à ses enfants.
En 1994, ses restes furent transférés en Israel, et ensevelis à Haïfa.
Asher Wizman.

Notes:
Plusieurs nouvelles lois avaient été annexées durant son règne (1912-1952), notamment celles concernant la répartition d’héritage entre filles et garçons.
Pendant la seconde guerre mondiale, le Général de Gaulle lui rendit visite (information reçue par quelques vieilles Marrakchia qui s’en rappellent.
Le tribunal rabbinique est le « beith din » et le juge est un « dayan ». Le Shamash est la neuvieme bougie du candélabre de Hanoucca qui sert à allumer les huit autres. Shamash signifie ‘serviteur’; serviteur de la connaissance du judaïsme.

THÈRÈSE ZRIHEN DE MARRAKECH AVEC LE PRÉSIDENT SHIMON PERES (zl)

Photo prise à l’occasion du patronage de l’édition anglaise de son livre THE STAIRWAY TO HEAVEN (Ed. Gefen Publishing House).

Thérèse ZRIHEN-DVIR a commencé ses études au Cours complémentaire Georges et Maurice Leven de Marrakech dont M. Goldenberg était le directeur. Certaines de ses camarades se souviendront d’elle, elles peuvent lui écrire par l’intermédiaire du blog.

Dans LES MÉMOIRES D’UNE JUIVE DE MARRAKECH, Thérèse ZRIHEN nous décrit notamment la communauté juive de Marrakech à la fin du Protectorat et dans les premières années de l’Indépendance du Maroc. Dans ce livre un passage concerne plus particulièrement son grand père Rabi Moshe ZRIHEN. Thérèse (Marie dans le livre) raconte le souvenir de cette journée alors qu’elle n’avait que sept ans. Elle précise: « Je n’oublierai jamais ce vendredi là ». 

 Mes souvenirs de mon grand-père :

Le rabbin, son grand-père, n’hésitait pas à interrompre ses séances à la cour quand Marie faisait son apparition au tribunal rabbinique. Accoutumés aux visites impromptues de l’enfant, les gardes placés à la porte lui permettaient l’accès avec un grand sourire. Ces pauses constituaient une diversion délassante pour son grand-père, qui la hissait gentiment sur ses genoux et débarrassait son bureau de tous les documents qui l’encombraient. Avant de partir, le rabbin permettait à Marie d’ouvrir le coffre placé à côté du bureau et d’y fouiner. Sous les liasses de billets de banque, les bijoux de famille et les différents documents, Marie infailliblement découvrait les friandises que son grand-père lui destinait. 

Le Décès du Rabbin, 

« Avez-vous entendu les nouvelles? » demanda madame Schuman. « Le rabbin est décédé ce matin. Devrions-nous annuler le programme et libérer les élèves? »

« Il va falloir consulter la directrice, » répondit l’autre maîtresse. « Je suis sûre que l’école toute entière sera renvoyée afin de permettre au personnel d’assister aux funérailles. »

« Excusez-moi mesdames, » intervint Marie. « Je vous ai entendu dire que le rabbin est mort. En êtes-vous sûres? »

« Malheureusement, oui, » confirma madame Schuman.

« Mais… C’est mon grand-père! » hurla Marie.

La nouvelle foudroya les maîtresses.

« Tu ne nous a jamais confié que tu étais la petite-fille du grand rabbin! »

« C’est une très longue histoire. Je promets de vous la raconter plus tard. Il faut que j’aille chez mes grands-parents maintenant. »

« Oui, va! Va vite! » Dit madame Schuman.

Marie jugea préférable de demander à sa mère de l’accompagner à la maison du rabbin. Celle-ci n’avait pas été informée du décès du vieil homme.

« Je suis désolée, » dit Fanny à sa fille. « Je ne peux pas me joindre à toi et laisser les enfants seuls. De plus, nous sommes vendredi et j’ai énormément de choses à préparer avant le Shabbat. Il va falloir t’habiller de vêtements sombres et enlever tes bijoux. Va à la maison de ton grand-père. Tu y rencontreras toute la famille, ainsi que ton père. Comporte-toi normalement. Si tu ne te sens pas à l’aise, assieds-toi auprès de Hannah, ta grand-mère. »

L’enfant troqua son tablier de classe pour une blouse bleu foncé et une jupe noire et enleva ses bijoux.

« Combien de temps devrai-je rester là-bas? » demanda-t-elle à sa mère.

« Jusqu’au dîner. Mais tu dois refuser de dormir chez eux, autrement, tu serais obligée d’y rester sept jours et sept nuits. La famille entière doit suivre les rites du deuil dans la maison du défunt. En raison de ton jeune âge, ils préféreront certainement t’écarter de ces scènes pénibles. »

Une foule compacte se pressait devant l’entrée principale de la résidence du rabbin, en rendant l’accès impossible. « Laissez entrer la petite-fille du rabbin, » cria un émissaire de la cour, reconnaissant l’enfant. La foule s’ouvrit pour la laisser passer.

L’émissaire la guida vers le deuxième étage, dans une pièce adjacente à la grande salle qui avait servi de cour pendant la maladie du rabbin. Elle y trouva son père assis près de ses frères. Il n’y avait là que des hommes aux cols de chemises fendus en signe de deuil et aux visages blêmes et non rasés. La pièce était ornée d’une multitude de petits coussins éparpillés à même le tapis et d’une table avec des verres à thé et des cendriers. Pas de chaise, ni de canapé, ni de photographies sur les murs. L’ensemble était aussi sombre et déprimant que ses occupants. 

« Marie, » lui dit Sol, « je suis ici! »

Paralysée par la peur, l’enfant ne répondit rien et avança vers son père avec hésitation.

« Emmenez-la chez sa grand-mère, » conclut Sol en s’adressant à l’émissaire. « Elle ne doit pas rester avec nous. »

Dans une autre aile de la maison, les femmes endeuillées, les vêtements aussi tailladés que ceux des hommes, étaient assises sur un petit tapis. Marie reconnut parmi elles le visage blafard et émacié de sa grand-mère.

« Hannah, » appela une des femmes, « ta petite-fille est là! »

« Marie, ma douce enfant, » dit celle-ci, « viens plus près et assieds-toi à mes cotés! Quel jour affreux! Que va-t-il advenir de moi? » Hannah murmurait en étanchant le flot de larmes qui coulait de ses grands yeux bleus. « Mazal, » lança-t-elle, « donne à manger à Marie, s’il te plaît. Elle doit avoir faim! »

« Je n’ai pas faim, » répondit Marie, dont l’appétit avait disparu.

« Tu dois partager la Seuda (repas rituel) avec nous, » dit sa grand-mère. « C’est fait à base de poisson et de légumes. La viande nous est interdite pendant un mois entier. Ta mère a dû te l’expliquer. Pourquoi n’est-elle pas venue? »

« Elle n’avait personne à qui confier ses autres enfants, » répondit Marie poliment.

« Quand un membre de la famille meurt, » reprit la grand-mère, « selon la tradition juive, nous devons nous asseoir par terre et porter les mêmes vêtements pendant sept jours. Aucune musique, festivité ou quelconque cérémonie n’est autorisée durant l’année de deuil. Les trente premiers jours, les repas sont composés de poisson, d’œufs, de légumes, de pain et de fruits. La viande ne sera consommée qu’à la fin de cette période. Bien entendu, il faut se vêtir de noir pendant un an, en signe de deuil. Mais tu es trop jeune pour suivre tous ces rites, tu peux faire ce que tu veux. »

« J’ai beaucoup aimé grand-père, » dit Marie, le visage inondé de larmes. « Je suis si triste qu’il soit parti. »

« Il t’a aimée aussi, » répondit Hannah. « Tu étais la seule petite-fille à qui il permettait d’entrer au tribunal durant les séances, tu te souviens? »

Mazal servit à Marie une grande assiette de légumes et de poisson cuits, à laquelle elle ne toucha pas. Un cortège interminable de femmes éplorées, aux gestes calculés, pénétra dans la pièce en gémissant, étreignant et embrassant Hannah et les femmes endeuillées assises sur le tapis. Elles y consommèrent le repas de deuil qui avait été disposé sur de longues tables. C’était comme si le Mellah tout entier était venu rendre un ultime hommage au défunt. La grande maison du rabbin était méconnaissable. Les moindres espaces libres  avaient été convertis en salles à manger dans lesquelles le repas de deuil traditionnel était servi à chaque visiteur.

Avant la tombée du soir, Marie se leva et demanda respectueusement à sa grand-mère la permission de partir. Hannah consentit sans hésitation. La présence d’un si grand nombre de personnes dans la maison avait créé un remue-ménage excessivement fatigant. Dans ces conditions, il était clair que personne ne prendrait soin de l’enfant de façon convenable.

De retour chez ses grands-parents maternels, Marie puisa du réconfort dans les paroles de pépé:

 

« Pleurer la perte d’un être aimé peut se faire en silence, sans manifestations ostentatoires. L’hypocrisie peut facilement se dissimuler derrière la tradition. La vraie peine est profonde et reste souvent muette. Suis ton cœur, Marie. Si tu ressens le besoin de t’endeuiller, fais-le, si cela peut soulager ton chagrin. »

© Chapitre extrait de Les mémoires d’une juive de Marrakech, publié sur le blog avec l’aimable autorisation de l’auteur, madame Thérèse Zrihen Dvir.

 

Pour une présentation du livre « Les mémoires d’une juive de Marrakech »  se reporter au site de l’auteur